L’univers du compositeur Régis Campo est souvent qualifié de « ludique », ce qui ne manque pas d’intriguer dans le domaine de la musique contemporaine. Élevé par les couleurs vives de son sud et par des chemins de traverse, ce pur génie musical n’en a pas moins trouvé son propre langage et développé un univers original.
L’ouvrage aborde aussi bien sa jeunesse marseillaise, son éducation musicale, son séjour à la Villa Médicis, son entrée à l’Institut de France, ses déjà 300 opus, tout en abordant la problématique de la musique contemporaine au XXIe siècle.
Sa structure en douze chapitres est volontairement éclatée, enrichie par de nombreuses citations, d’extraits de partitions, de commentaires d’œuvres, de témoignages de grandes personnalités internationales comme le chef d’orchestre Kent Nagano, la soprano Dame Felicity Lott, le pianiste Jay Gottlieb, l’écrivain Richard Millet ou encore l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, et aborde également peinture, cinéma, littérature ou philosophie.
Un livre « ludique » et arborescent qui apporte un éclairage original sur la création et notre besoin d’émerveillement.
http://quaiouestregiscampo.blogspot.com
Discours de Michaël Levinas à l’occasion de l’installation de Régis Campo à l’Académie des beaux-arts, mercredi 3 avril 2019 « Comme une aube qui point »
http://aba.accessia.fr/_refonte/img/membres/149/6dd167243ec963f03fbd5f2bd0ce37d2.pdf
Régis Campo sous la Coupole Michaël Levinas installe son confrère à l’Académie des beaux-arts http://www.anaclase.com/chroniques/r%C3%A9gis-campo-sous-la-coupole par Bertrand Belognesi
https://www.resmusica.com par Michèle Tosi
http://www.anaclase.com par Laurent Bergnach
Régis Campo : Musique contemporaine, musique heureuse
La Revue littéraire - N°77 mars-avril 2019 (éditions Léo Scheer )
Visiblement en recherche d’une partition, Régis Campo entre dans la somptueuse bibliothèque du conservatoire de Marseille, là où je donne mes cours. Retrouvailles amicales chaleureuses, comme à chaque fois, et la conversation part rapidement sur ses projets, sur la musique de Takemitsu, sur la qualité des partitions pour le cinéma de Bernard Herrmann, sur ses rencontres émerveillées lors des séances de l’Académie des beaux-arts dont il fait partie depuis 2017, sur les tendances actuelles de la création parisienne, avant que Régis ne se mette au piano pour improviser avec un mimétisme prodigieux dans le style d’un de ses confrères, et avant que cet échange foisonnant ne doive hélas s’achever devant la mine impatiente de l’élève arrivé entretemps, surtout inquiet devant le retard que prend son rendez-vous.
C’est dans de telles occasions malheureusement trop rares que se ressent en direct la vie véritable de l’art musical d’aujourd’hui, tel qu’il vibre au travers des idées, des inspirations, des imprévus, des bonheurs …
Or ce sont aussi de tels moments qu’évoque très fidèlement le nouveau livre de Thierry Vagne, « Régis Campo, musique de l’émerveillement », paru aux éditions Aedam Musicae, dans son choix délibéré de présenter le compositeur au travers d’un ouvrage de 260 pages bardé de citations, d’entretiens, d’exemples musicaux, de photos, de catalogues, d’analyses … Une telle constatation pourrait faire craindre un aspect « fourre-tout », mais pourtant ce qui frappe à la lecture de cette somme est la cohérence de l’ensemble, qui amplifie la simple description dans tous ses aspects d’un de nos auteurs les plus appréciés sur la scène internationale.
Depuis plus d’une soixantaine d’années, l’amateur curieux de musique contemporaine a eu en effet à sa disposition des quantités de recueils, allant de biographies détaillées retraçant le travail artisanal de tel ou tel artiste jusqu’à des analyses de partitions nouvelles parfois extrêmement pointues (et parfois même mathématiques lorsque la période était à une justification terriblement « scientifique » de la création musicale). Ces parutions ont reflété les spéculations qui ont sous-tendu le cheminement de la musique savante, et le mélomane peut ainsi comprendre ce qui s’est tramé en arrière-plan des œuvres qu’il a découvertes avec une surprise fréquente, ou au contraire avec lassitude.
Régis Campo a vécu ces années en se confrontant aux influences diverses, dont il nous parle sans détour, jusqu’à ses enseignants parisiens férus de musique spectrale. Mais l’hommage qu’il rend préalablement à l’ouverture d’esprit liée à son professeur marseillais de jeunesse Georges Boeuf nous explique la liberté absolue qu’il revendique à l’égard de sa volonté musicale authentique, indépendante de quelque coterie que ce soit.
On comprend d’emblée que Régis Campo s’est nourri d’une curiosité dévorante, d’ailleurs pas seulement dans le domaine musical. Parallèlement, malgré l’aisance dans la trame du discours, on devine le travail acharné et la détermination absolue dont le jeune auteur a fait montre. Il y a aussi des admirations profondes de sa part, comme pour Henri Dutilleux dont on suit passionnément les échanges épistolaires et l’appui déterminant.
Au fil des pages, on en arrive ainsi à une construction exhaustive de tout ce qui fait la singularité enthousiasmante de Régis Campo : il pratique un art dégagé de toute emprise d’école, puisant ses sources dans le passé mais aussi dans tous les domaines des musiques actuelles, et les transmuant en un langage personnel d’une inventivité, d’une vitalité et d’une palpitation uniques. Dans le silence de la lecture, on finit même par éprouver ce qui fait aussi la marque de sa musique, c’est-à-dire le soin constant apporté à la qualité purement sonore, aux orchestrations et à la séduction immédiate de ses œuvres, qui détermine également le succès immédiat que ses nouvelles pages rencontrent dans le monde musical d’un continent à l’autre.
Doit-on en déduire que Régis Campo prolifère avec bonheur dans un genre uniquement distrayant, coloré, expansif, ce qui, honnêtement, n’était pas gagné d’avance lorsqu’on parlait jadis de « musique contemporaine » ? Ce serait aller vite en besogne. Car si l’auteur s’amuse en privé des sourires qu’il a pu provoquer dans le milieu culturel parisien en se présentant comme « marseillais », cette surface joyeuse recouvre en réalité une profondeur et une émotion qui affleurent à la lecture de l’émouvant hommage rendu au compositeur Frédérick Martin. On comprend alors qu’il faut sans doute aller chercher plus avant dans la personnalité de Régis Campo pour cerner en vérité l’âme de son œuvre, et que les impressions durables que provoquent ses créations sont dues à des ressorts infiniment plus subtils. On sait aujourd’hui que Mozart ne se limite pas à une perruque poudrée et que la partie de cartes ne masque pas la tragédie humaine qui se déploie dans la trilogie de Pagnol.
Au-delà d’une simple biographie, voici donc que cette parution vient combler le manque d’un repère d’étape sur le chemin de la musique contemporaine, à savoir le récit de notre époque actuelle où des auteurs, dégagés de toute école contraignante, créent leur monde personnel parfois à coup de synthèse (comme le pressentit Messiaen dans ses œuvres ultimes), tout en affirmant leur personnalité sincère et leur originalité, dans le souci pudique d’une qualité d’écriture constamment rigoureuse. Cet ouvrage fera ainsi date dans la lignée des témoignages qui nous guident dans la compréhension de l’évolution de la musique en tant qu’art majeur.
Pour résumer, ce livre se lit avec une gourmandise évidente, il se relit aussi, tant les éléments d’information sont nombreux et captivants, il se déguste enfin, en appréciant tout ce qui permet d’approfondir non seulement l’immense talent d’un compositeur brillant mais aussi la musique de notre temps, dans ce qu’elle a de plus exaltant et de plus heureux. Grâce en soit rendue à Régis Campo pour la liberté de ce qu’il livre, et à l’auteur Thierry Vagne pour ce travail volumineux, cultivé, distrayant, savant et accessible.
Philippe GUEIT
Pianiste concertiste, organiste titulaire de la Cathédrale de Marseille et homme de radio, Philippe Gueit est professeur de lecture à vue et d’orgue au Conservatoire de Marseille.