La trajectoire globale de Pierre Boulez se comprend à la lumière de ses années de formation. Entre 1943 et 1948, Boulez découvre l’essentiel des répertoires qui nourriront ses réflexions et son action. Homme d’oubli et de table rase ? Au contraire, Boulez est un homme de mémoires et de traditions. Il érige son monde de références dans sa première jeunesse. Pour toute son existence. Les musiciens, les peintres, les écrivains élus persistent au gré des renouvellements, des ruptures, des écueils. Klee, Mallarmé, Char, Bartók, Stravinsky, Messiaen, les Viennois : une nébuleuse s’agrège et l’œuvre se déploie.
Les principaux concepts de la pensée de Boulez se définissent après-guerre. Les correspondances de l’œil et de l’oreille, énoncées au Collège de France, sont toutes droites issues de Claudel et de ses réflexions sur la peinture. L’idée de geste ne peut se comprendre sans le lien de Boulez à Barrault, héritier de Dullin et condisciple d’Artaud. Au Théâtre de Barrault, la technique de chef se dessine, sans baguette. Manière directe d’appréhender les musiciens qui évoque le lien du metteur en scène avec sa troupe et ses acteurs.
Boulez, homme de communication ? D’abord, par la multitude des entretiens qu’il a livrés. Il est erroné d’y voir un homme de culture qui assoit son savoir. Prononcer des jugements assurés et inquiets : ce paradoxe constitue l’un des aspects les plus secrets de la personnalité publique de Pierre Boulez. Des premiers articles aux derniers entretiens, le ton est à entendre au-delà de sa première apparence. Boulez questionne l’inquiétude inhérente à l’acte de création, avec pertinence, avec excès, avec intransigeance. Cette tension fait des écrits et des entretiens de Pierre Boulez une référence incontournable de la littérature musicographique moderne.
François Meïmoun