D’un caractère fantasque enclin au merveilleux, Niccolò Castiglioni (1932-1996) était un maître du silence et des sons limpides, cristallins et transparents, comme pris dans la glace. Le lyrisme, les bruissements et les nuances infimes de son art paraissent empreints de ses baroqueries, de ses absentements, comme une citadelle d’intériorité, jusqu’aux retraites solitaires dans les paysages alpins et les sentiers du Haut-Adige. Dans le sillage de ses chers romantiques et d’Anton Webern, qu’il commenta avec passion et clairvoyance, Castiglioni manifeste, au regard de l’Histoire, un amour immodéré de la nature, des plantes, des arbres et des chants d’oiseaux. Harmonie de la création et d’un savoir qui gouverne le mouvement des étoiles comme celui de l’atome musical.
Niccolò Castiglioni, qui exaltait le petit, le simple, voire l’ingénu, se disait aussi fait pour l’émerveillement et pour la joie, aussi pleins et entiers que ceux de l’enfant. Et, à leur mesure, la douleur et le chagrin, la déception et l’angoisse d’abandon. De l’enfance, il adopta souvent la conduite, choyant son absolue liberté, et revendiqua le paradis perdu, autant que les jeux, de sons et de mots, avant d’user de citations et de pastiches. Comme Robert Schumann, il composa ainsi en poète, se créa un monde de fantaisie et le peupla de trésors, l’ordonnant à sa convenance. Il magnifia par là même la rêverie, les situations imaginaires, leur donna structure et cohérence. Aussi, dans sa traversée singulière du sérialisme et de son dépassement, vibraient intensément une sensation, un sentiment, la résonance d’une musique d’antan ou le monde fabuleux d’un livre ou d’un conte.
C’est à la lecture de ses essais et de ses entretiens, pour la première fois réunis en un volume, qu’invite cet ouvrage. Niccolò Castiglioni y décrit les ordres constants et les équilibres stables du Moyen Âge aux débuts de notre ère contemporaine, mais aussi les marges, les bords, ces moments où les normes se fissurent, se modifient et commencent de se configurer autrement. Une telle réflexion se déploie dans le champ de la musique, de ses théories et de ses pratiques, comme dans la littérature et les grandes catégories de la philosophie occidentale – réalisme, rationalisme, idéalisme, pragmatisme, métaphores des points cardinaux d’une œuvre que traverse un même et constant souci : une attention subtile au langage, où l’engagement, l’éthique musicale se mesurent à l’aune du son.
Musicologue, Angelo Orcalli a également suivi une formation en mathématique et en philosophie, et enseigne les « Systèmes éditoriaux de la musique » à l’Université d’Udine (département de Mathématique et informatique). Ses travaux portent sur les théories et les pratiques de la musique contemporaine occidentale et sur l’édition critique d’œuvres électroniques et mixtes (Gérard Grisey, Bruno Maderna et Luigi Nono). Angelo Orcalli est en outre l’auteur d’essais sur des compositeurs des xxe et xxie siècles, ainsi que d’articles sur les rapports entre musique, sciences et technologie.
Après des études à la Sorbonne, à l’École des hautes études en sciences sociales et au Conservatoire de Paris, Laurent Feneyrou est chargé de recherches (CNRS) dans l’équipe « Analyse des pratiques musicales » (Ircam). Membre de l’Académie Charles Cros et du Conseil scientifique de la Fondazione Levi (Venise), auteur d’un livre sur Helmut Lachenmann (De lave et de fer, mf, 2017) et du Chant de la dissolution (Philharmonie de Paris, 2018), il est aussi traducteur et éditeur scientifique d’écrits de compositeurs italiens (Giacomo Manzoni, Luigi Nono et Salvatore Sciarrino).