Secs, brusques, nerveux, ils parcouraient d’un pas léger de vastes régions. On aurait dit que leurs pas vivaient une vie indépendante, du fait que le reste du corps ne participait pas du tout aux mouvements des membres. Cela ressemblait à l’oscillation simultanée (ils maintenaient toujours la cadence) de deux couples de pendules fonctionnant parfaitement et observés de côté. Oui, c’est pourquoi nul ne les avait jamais vus sinon de dos et dans une position rigoureusement orthogonale à la ligne droite qui passe par les yeux de l’observateur. C’est pour cela, je crois, que leurs pas semblaient indifférents à la terre, privés de cette résistance qu’oppose la gravité, sans effort, ni déplacement. Ils affichaient leur marche rectiligne, mais d’aucuns affirment les avoir vus passer une seconde fois, précisément au même endroit. Ils portaient toujours un impeccable tight avec haute forme lumineux, on ne réussit pas à comprendre que leur superbe parvînt à ignorer l’angoisse de ces rues poussiéreuses. Leur teint cendreux, leur longue barbe noire pouvaient à peine se deviner, de même que leur regard perçant, fixe en avant, précédant presque le corps. C’étaient les Paramètres, ou du moins tous se comportaient comme s’ils l’étaient. D’où ils venaient, où ils allaient, nul ne l’avait jamais dit. On disait qu’ils étaient frères, que cette vivacité absente, imperturbable, n’était qu’apparente et qu’en réalité, leurs antagonismes féroces étaient passés sous silence ; on disait qu’ils opprimaient nombre de cadets, qui se consacraient alors à la mendicité dans des régions lointaines et inaccessibles. On disait alors bien d’autres choses. Peut-être n’était-ce que médisance rancunière, à cause de leur autorité indiscutable, qui attirait des haies populaires silencieuses sur leur passage. On en parle encore, là-bas, de ces Paramètres. Mais nul, ni ici, ni ailleurs, ne sait dire où ils s’en sont allés.
Franco Donatoni